L'affaire Allègre - et le réchauffement climatique

http://www.climat-sceptique.com/article-4112905.html

Claude Allègre, prix Crafoord, médaille d’or du CNRS et ancien ministre de la Recherche a exprimé son scepticisme sur les causes du réchauffement climatique. Mal lui en a pris, puisqu’il s’est attiré les foudres de climatologues de renom alertés par la vigilance d’un journaliste (Sylvestre Huet). Hélas, ceux qui se sont posés en défenseur de l’exactitude scientifique dans cette affaire ont omis de rappeler deux ou trois vérités à leurs concitoyens.

Explications
Dans un éditorial de l’Express paru voici deux semaines, Claude Allègre (photo) raille les « Cassandre du réchauffement ». En prenant deux exemples : la fonte du Kilimanjaro indûment attribuée au réchauffement climatique anthropique et la bonne santé de l’Antarctique, contraire aux prédictions de fonte des pôles faisant régulièrement la une des médias.

Malheureusement emporté par sa fougue, l’ex-ministre de la Recherche s’emmêle quelque peu dans ses références. Ce qui est noté par le journaliste (Libération) Sylvestre Huet, auteur d’une cinglante réponse au ministre et organisateur d’une riposte qui va par la suite impliquer un certain nombre de climatologues de renom.

Le Kilimanjaro et le réchauffement :
si l’on entrait dans les détails ? Dans sa réponse, S. Huet pose notamment : « Claude Allègre débute sa chronique en citant les ‘photos spectaculaires’ de Yann Arthus-Bertrand du Kilimanjaro - sommet africain- dont la couverture de glace est en voie de disparition. Puis critique l’attribution de cette évolution au réchauffement climatique en cours, un ‘refrain’, ironise t-il. Claude Allègre cite un article ‘dans la revue Nature’, où ‘des chercheurs français ont montré que cette désertification (responsable de la disparition des glaces du Kilimanjaro) était largement due à des mouvements tectoniques responsables de la remontée progressive du continent africain, modifiant la circulation météo.

L’effet de serre n’a aucun rôle majeur là-dedans’. Il n’y a pas d’article sur ce sujet dans les dernières livraisons de Nature. […] Allègre manipule le texte, trompe ses lecteurs. » Les remarques de S. Huet sur l’erreur de source sont exactes. Mais là où Huet trompe à son tour ses lecteurs, c’est quand il oublie de leur préciser que la fonte du mont Kilimanjaro n’est probablement pas liée aux émissions humaines de gaz à effet de serre. C’est-à-dire que Claude Allègre avait raison sur le fond quoique tort sur la forme.

Ainsi, les recherches les plus récentes (Cullen 2006, Kaser 2004, Kaser 2005, Mölg 2003, Mölg 2006) ont établi les faits suivants :

  • - la perte des glaces du Kilimanjaro est un phénomène étalé depuis le début des mesures (vers 1905) dont les fluctuations ne sont pas corrélées au réchauffement de l’atmosphère ambiante (la période 1989-2003 a ainsi le plus faible rythme de fonte depuis un siècle, malgré le « réchauffement sans précédent » de ces deux dernières décennies) ;
  • - les deux facteurs les plus importants pour la dynamique des glaces tropicales en Afrique de l’est sont l’insolation des versants (liée à la nébulosité) et surtout l’humidité ;
  • - l’humidité de cette zone a connu une brusque chute vers 1880 (bien avant l’effet de serre anthropique), probablement due à une modification du mode zonal de l’Océan indien. Bref, rien ne rapproche le comportement du Kilimanjaro de l’effet de serre anthropique, sinon une certaine vulgate catastrophiste cherchant des symboles évocateurs pour convertir les masses à son obsession carbonique.

D’autres travaux sur d’autres glaciers tropicaux (Georges2004 au Pérou, Polissar 2006 au Venezuela) ont d’ailleurs montré soit que les rythmes des fontes étaient plus élevés dans les années 1920 à1940 qu’aujourd’hui, soit que la dynamique glaciaire suit avant tout depuis 1000 ans la dynamique du soleil, et non celle du CO2.

L’Antarctique et les modèles :
un article mal interprété de part et d’autre Huet en vient ensuite au deuxième point, l’Antarctique. Citons-le :« Le géophysicien ne s’arrête pas là. Et cite un ‘important article d’une série d’éminents glaciologues (qui) montre que, en trente ans, le volume des glaces antarctiques n’a pas varié’. Ce qui, poursuit-il, met en cause l’idée selon laquelle ‘si un réchauffement général à lieu, il sera beaucoup plus important près des pôles qu’à l’équateur’. Or, cet article ne porte pas sur le volume des glaces de l’Antarctique mais sur la mesure de la quantité de neige qui y est tombée depuis 1958. Les auteurs notent qu’ ‘il n’y a pas de changement statistiquement significatif dans les chutes de neige depuis les années 1950, indiquant que les précipitations sur l’Antarctique ne peuvent pas atténuer la montée du niveau de l’océan mondial comme cela était espéré, malgré le réchauffement récent durant l’hiver de l’atmosphère au dessus (de l’Antarctique, ndlr)’.

Les climatologues n’ont en effet jamais envisagé que le réchauffement général et au-dessus de l’Antarctique, se traduise par une diminution du volume de la calotte antarctique mais par une augmentation, à l’horizon 2100, en raison de chutes de neiges plus importantes. » Cette correction n’est là encore qu’à demi-exacte. Car l’article en question de Monaghan et al. va justement à l’encontre des prédictions des modèles dont S. Huet se fait l’écho. On peut notamment y lire : « If anything, our 50-year perspective suggests that Antarctic snow fall has slightly decreased over the past decade, while global mean temperature shave been warmer than at any time during the modern instrumental record[…] It may be necessary to revisit GCM assessments that show increased precipitation over Antarctica by the end of this century in conjunction with projected warming (29). » (Cette note 29 renvoie au rapport du GIEC 2001).

Traduction rapide :
les précipitations neigeuses sont stables ou ont légèrement baissé alors que les températures ont augmenté sur cette zone ; il est nécessaire de revoir la copie de nos modèles qui prévoient le contraire. Claude Allègre avait tort de citer cet article comme un contre-exemple du réchauffement actuel. Mais ses détracteurs ont tort à leur tour de le citer comme un exemple de la qualité de prévision des modèles. Car c’est tout le contraire. Sur cette question de l’Antarctique, nous renvoyons nos lecteurs à notre synthèse montrant que les mesures de cette région sont parfois contradictoires et doivent de toute façon être interprétées avec la plus grande prudence. Ainsi qu’à ce travail récent de l’équipe de Winnikov (2006) considérant que nous sommes toujours dans le cadre de la variabilité naturelle en Antarctique comme en Arctique.

Les climatologues en colère :
inquiets pour leurs crédits ? Nouvel épisode de cette affaire Allègre : une lettre ouverte émanant de plusieurs scientifiques circule. Et non des moindres puisqu’elle est notamment signée par trois grands patrons de labo : Michel Fily (directeur du Laboratoire de Glaciologie et de Géophysique de l’Environnement), Jean Jouzel (Directeur de l’Institut Paul- Simon Laplace, IPSL), Thomas Stocker (directeur du Laboratoire Physique du Climat et de l’Environnement). Quel extraordinaire déploiement d’énergie pour un article somme toute banal dans un hebdomadaire généraliste ! La communauté des climatologues a visiblement choisi de jouer à fond la carte politico-médiatique. Il est vrai que cette carte est pour l’instant gagnante puisqu’elle a permis d’appréciables gains de financements publics depuis le premier rapport du GIEC. Comme Lionel Jospin venait d’annoncer son retrait à la course à la présidence, la perspective de voir Claude Allègre revenir au ministère de la Recherche s’éloignait. On entend encore le grand « ouf »de soulagement chez les modélisateurs du réchauffement anthropique…

Cette lettre ouverte des chercheurs reprend à peu près les arguments de Sylvestre Huet et ne précise pas plus la réalité du Kilimanjaro ni l’erreur des modèles suggérée par Monaghan et al. C’est un peu dommage pour des scientifiques dont le rôle est de donner aux citoyens tous les éléments objetifs pour juger une question. Surtout quand ils écrivent eux-mêmes : « On pourrait s’attendre à ce qu’un chercheur ‘éminent’, ancien ministre de la recherche et académicien, donne une information d’expert scientifique responsable et non une information tronquée, presque partisane et fausse, surtout lorsque cela concerne un sujet sociétal. » Eh bien chiche, arrêtons un peu les informations « tronquées et partisanes », donnons pour chaque thématique du réchauffement les différentes mesures et hypothèses en présence. On s’apercevra aisément que le « consensus » des chercheurs sur le réchauffement anthropique est un mythe ne correspondant pas à la réalité des publications scientifiques actuelles. Revenons ainsi à la supposée information exacte et complète de nos chercheurs. Pour répondre à l’insouciance de Claude Allègre, ils citent une étude récente (Velicogna 2006) indiquant que « la perte de glace[au Groënland] est passée de 90 à 220 kilomètres cubes par an » - preuve bien sûr de la catastrophe imminente si nous ne faisons rien. Les chiffres sont impressionnants, le contexte l’est un peu moins. Cette perte de glace est mesurée par une mission satellitaire (GRACE) lancée en 2002, voici donc cinq ans seulement. Aucun scientifique sérieux ne dira que des mesures sur cinq années permettent d’établir une quelconque tendance climatique. Ainsi, les températures actuelles du Groënland sont plus fraîches qu’elles ne l’étaient au cours des décennies 1930-1940. Et le cercle arctique est connu pour ses fluctuations rapides et amples à l’échelle des décennies, des siècles et des millénaires.

D’innombrables travaux ont déjà montré que la région était plus chaude qu’elle ne l’est aujourd’hui au cours du Holocène. A l’époque où le réchauffement anthropique était évidemment insignifiant (voir notre synthèse à ce sujet ainsi que ce papier récent sur les températures estivales du Groënland depuis un siècle).

Canicule-réchauffement :
mais quel expert du GIEC ferait donc le lien ? Les auteurs de la lettre ouverte à Claude Allègre ajoutent enfin cette étrange précision dans leur missive : « Dans sa chronique, Claude Allègre persiste à mettre en doute le rôle de l’activité humaine dans le changement climatique actuel. Il pourrait s’appuyer sur les conclusions présentées par le Groupe d'Experts Intergouvernemental sur l'Evolution du Climat. Quel expert de ce GIEC a pu faire une relation directe entre les températures en France durant les mois de juillet et août de cette année 2006 et l’évolution du climat sur les dernières décades ? »

Nos grands climatologues semblent donc suggérer qu'un expert du GIEC n'aurait pas l'imprudence d'associer un mois de température en France et le réchauffement climatique. Or en pleine canicule de juillet dernier, l'information suivante circulait un peu partout (AFP) : « Le dérèglement est en marche, il n'y a aucun doute, on est au début du processus », a déclaré à l'AFP Hervé Le Treut, directeur du laboratoire de météorologie dynamique du Centre national de la recherche scientifique (CNRS). [...] « On peut s'attendre à des canicules plus fréquentes ou plus fortes du fait de la tendance générale à la hausse des températures liée aux émissions de gaz à effet de serre », a estiméM. Le Treut.

Le même Hervé Le Treut (auteur du GIEC, bien sûr) qui déclarait également à l’agence d’information anglaise IPS : « We are observing and suffering the first effects of global warming. The emissions of greenhouse gases, such as carbon dioxide, are leading to higher temperatures all over the world, but these are observed in an irregular manner across the continents. The global weather is clearly disturbed. » MM. Fily, Jouzel et Stocker ont donc la réponse à leur question : M. LeTreut, expert du GIEC, a fait un lien direct entre un événement météorologique (canicule de juillet) et une hypothèse climatologique (réchauffement anthropique).

Compte-tenu des pratiques habituelles des médias alarmistes, on peut accorder à M. Le Treut le bénéfice du doute et considérer que ces propos ont été extraits de leur contexte. Mais cela montre au minimum le danger auquel s'expose une science climatique ayant accepté de jouer la carte de la médiatisation et de la politisation depuis la naissance du GIEC.

Conclusion
Dans sa chronique de l’Express, Claude Allègre a exprimé son scepticisme en matière climatique, mais commis quelques erreurs de référence. Dont acte. Pour autant, la réaction de ses détracteurs fut largement disproportionnée. Se drapant de la toge de l’exactitude scientifique, ils se sont bien gardés de statuer sur le fond des problèmes abordés par Claude Allègre : la fonte de Kilimanjaro est très probablement indépendante du réchauffement climatique d’origine anthropique, auquel elle n’est nullement corrélée dans sa dynamique ; les prévisions des modèles climatiques à l’échelle régionale restent d’une grande médiocrité, en Antarctique comme ailleurs ; le comportement actuel de l’Arctique doit être pondéré par les fluctations fréquentes et importantes de cette région, qui a connu déjà des réchauffements plus imporants en dehors de l’influence de l’effet de serre anthropique.

Sous couvert de corriger Claude Allègre, le processus d’étouffement systématique de la raison critique poursuit donc son oeuvre dans le domaine climatique. Mais comme nos lecteurs le savent, les faits sont heureusement plus têtus que les modèles. Références Cullen, N.J., et al. (2006), Kilimanjaro glaciers: Recent areal extent from satellite data and new interpretation of observed 20th century retreat rates, Geophysical Research Letters, 33, 10.1029 /2006 GL 027084. Georges, C. (2004), 20th-century glacier fluctuations in the tropical Cordillera Blanca, Peru, Arctic, Antarctic, and Alpine Research, 35,100-107. Kaser G. et al. (2004), The behavior of modern low-latitude glaciers, Past Global Changes News, 12, 1, 15-17. Kaser G. et al. (2005), Low-latitude glaciers: Unique global climate indicators and essential contributors to regional fresh water supply. A conceptual approach. In: Huber, U., H. K. M. Bugmann, and M. A. Reasoner(ed.), Global Change and Mountain Regions: A State of Knowledge Overview, Kluwer: New York, vol. 23., 185-196.Mölg, T. et al. (2003), Solar-radiation-maintained glacier recession on Kilimanjaro drawn from combined ice-radiation geometry modeling, Journal of Geophysical Research, 108, D23, 4731, doi:10.1029/2003JD003546.Mölg T. et al. (2006), Indian Ocean zonal mode activity in a multicentury integration of a coupled AOGCM consistent with climate proxy data, Geophysical Research Letters, 33, L18710,doi:10.1029/2006GL026384, 2006Monaghan A.J. et al. (2006), Insignificant change in Antarctic snow fallsince the International Geophysical Year, Science, 313, 827-831Polissar, P.J. et al. (2006), Solar modulation of Little Ice Age climatein the tropical Andes, Proceedings of the National Academy of SciencesUSA, 103, 8937-8942Velicogna I., J. Wahr (2006), Acceleration of Greenland ice mass loss inspring 2004, Nature, 443, 329-331publié par Charles Muller dans: Actualités / Brèves

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